Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/56

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deçà ; ainsi on étudierait cette crise morale et sociale de première importance, qui survient à vingt-sept ans, et par qui l’immense majorité des révolutionnaires deviennent et restent conservateurs, soit qu’ils aillent faire de la conservation dans les partis de la conservation, soit, communément, qu’ils restent faire de la conservation dans les partis prétendus révolutionnaires, par opportunisme ou par surenchère, soit qu’ils pratiquent cette conservation publique et privée, de ne plus faire de l’action après avoir commencé par s’y intéresser ; on reconnaîtrait que le souci de certitude, le besoin de sécurité, d’assurance, de tranquillité, est un facteur moral considérable ; on distinguerait que ce besoin entre comme un élément respectable dans beaucoup de vocations religieuses ; on éprouverait enfin que tant qu’un homme, jeune ou adulte, n’a pas dépassé l’âge de cette crise, on ne peut ni le juger, ni le présumer.

La misère est tout le domaine en deçà de cette limite ; la pauvreté commence au delà et finit tôt ; ainsi la misère et la pauvreté sont voisines ; elles sont plus voisines en quantité, que certaines richesses ne le sont de la pauvreté ; si on évalue selon la quantité seule, un riche est beaucoup plus éloigné d’un pauvre qu’un pauvre n’est éloigné d’un miséreux ; mais entre la misère et la pauvreté intervient une limite ; et le pauvre est séparé du miséreux par un écart de qualité, de nature.

Beaucoup de problèmes restent confus parce qu’on n’a pas reconnu cette intervention ; ainsi on attribue à la misère les vertus de la pauvreté, ou au contraire on impute à la pauvreté les déchéances de la misère ; comme ailleurs on attribue à l’humilité les