Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

avaient donc une souffrance infinie, totale, barrant toute la vie, où aucune lueur ne passait ; au contraire le plus misérable des non-croyants a parmi nous au moins cette consolation qu’il sait que la mort ferme tout, y compris la misère. — C’est interpréter mal un phénomène assez simple. C’est apporter du dehors à ce phénomène sentimental une interprétation comme en fournissent les intellectuels qui ont commencé par ne pas se placer dans la situation requise. L’observateur extrinsèque tient le raisonnement suivant, qu’il n’avoue pas : étant donné un homme qui souffre d’une souffrance humaine et, en outre, d’une souffrance infinie, si nous commençons par le débarrasser de la deuxième, ce sera autant de gagné, autant d’acquis, et même on l’aura débarrassé de la souffrance la plus grave à beaucoup près, d’autant que la peur de l’enfer, souffrance infinie, est plus grave que la simple souffrance humaine, souffrance finie. — Ce raisonnement d’aspect mathématique est incomplet, grossier : il néglige la réaction presque automatique des sentiments. Il traite la conscience et l’inconscient des sentiments comme un vase inerte, qui ne se réveillerait pas, qui ne réagirait pas ; il introduit à faux le mathématique, l’arithmétique, dans le vivant ; il ne se vérifie, et mal, que dans les premiers temps de la libération ; quand un homme, quand un peuple, quand une génération se libère d’un effroi religieux, d’une crainte religieuse, au moment de l’affranchissement il se produit un vide sentimental, une aération ; il en résulte une respiration, une impression d’aise et de bonheur. « Celui que ni le renom des dieux, ni les foudres, ni les menaces du fracas céleste n’ont bloqué. » Mais cette impression