Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/69

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emplit toute l’âme ; non pas en ce sens qu’il exterminerait de l’âme tout autre sentiment, conscient, subconscient, inconscient, mais en ce sens qu’il affecte sans exception, qu’il nuance et qualifie toute la vie sentimentale, intellectuelle, toute la vie de l’âme et de l’esprit ; peu importe quels événements se produisent à l’intérieur de la misère ; il suffit qu’ils soient à l’intérieur de la misère pour être misérables ; quand un homme est comme Jean Coste en pleine misère, dans l’enfer de la misère, le dernier événement qui l’achève peut être un événement extrinsèquement peu considérable, un événement à qui résisterait aisément quelqu’un qui ne serait pas misérable ; mais pour celui qui le subit dans la misère, c’est-à-dire pour celui qui importe, en définitive, cet événement soi-disant peu considérable est un événement capital, un événement de conséquence infinie. Notre deuxième conclusion sera que la simple misère humaine a une importance infinie. La damnation a une importance infinie pour les catholiques. La misère sociale a une importance infinie pour nous.

On objecterait en vain que notre comparaison n’est pas fondée, sur ce que les peines infernales sont définitives pour la chrétienté, mais que la misère n’est que temporaire et pour ainsi dire provisoire dans l’histoire de l’humanité ; les misérables, nous dit-on, peuvent au moins se consoler sur ce qu’à travers leurs misères particulières provisoires l’humanité marche délibérément, assurément, vers une ère de bonheur définitif ; cette préoccupation apparaît souvent dans les derniers livres de Zola ; l’honorable M. Buisson me disait : Ce qui manque à Jean Coste, ce qui pourrait peut-être le soutenir un peu, éclairer sa misère, et même lui