Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/78

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ont fait l’humanité, qui l’ont maintenue, qui sans doute l’affranchiront ; c’est un grand sentiment, de grande fonction, de grande histoire, et de grand avenir ; c’est un grand et noble sentiment, vieux comme le monde, qui a fait le monde.

À côté de ce grand sentiment le sentiment de l’égalité paraîtra petit ; moins simple aussi ; quand tout homme est pourvu du nécessaire, du vrai nécessaire, du pain et du livre, que nous importe la répartition du luxe ; que nous importe, en vérité, l’attribution des automobiles à deux cent cinquante chevaux, s’il y en a ; il faut que les sentiments de la fraternité soient formidables pour avoir tenu en échec depuis le commencement de l’humanité, depuis l’évolution de l’animalité, tous les sentiments de la guerre, de la barbarie et de la haine, et pour avoir gagné sur eux ; au contraire le sentiment de l’égalité n’est pas un vieux sentiment, un sentiment perpétuel, un sentiment universel, de toute grandeur ; il apparaît dans l’histoire de l’humanité en des temps déterminés, comme un phénomène particulier, comme une manifestation de l’esprit démocratique ; ce sont toujours, en quelque sens, les sentiments de la fraternité qui ont animé les grands hommes et les grands peuples, animé, inquiété, car la préoccupation de la misère ne va jamais sans une amertume, une inquiétude. Au contraire le sentiment de l’égalité n’a inspiré que des révolutions particulières contestables ; il a opéré cette révolution anglaise, qui légua au monde moderne une Angleterre si nationaliste, impérialiste ; il a opéré cette révolution américaine, qui instaura une république si impérialiste, et capitaliste ; il n’a pas institué l’humanité ; il n’a pas préparé la cité, il n’a instauré