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que des gouvernements démocratiques. C’est un sentiment composé, mêlé, souvent impur, où la vanité, l’envie, la cupidité contribuent. La fraternité inquiète, émeut, passionne les âmes profondes, sérieuses, laborieuses, modestes. L’égalité n’atteint souvent que les hommes de théâtre et de représentation, et les hommes de gouvernement ; ou encore les sentiments de l’égalité sont des sentiments fabriqués, obtenus par des constructions formelles, des sentiments livresques, scolaires ; quand des passions violentes, profondes et larges, humaines et populaires, s’émeuvent pour l’égalité, comme au commencement de la Révolution française, presque toujours c’est que l’égalité formelle recouvre pour sa plus grande part des réalités libertaires ou de fraternité. C’est un fait que, sauf de rares exceptions, les hommes qui ont introduit dans la politique les préoccupations d’égalité n’étaient pas, n’avaient pas été des misérables ; c’étaient des petits bourgeois ou des pauvres, des notaires, des avocats, des procureurs, des hommes qui n’avaient pas reçu l’investiture indélébile de la misère.

Le vrai misérable, quand une fois il a réussi à s’évader de sa misère, en général ne demande pas son reste ; les vrais misérables, une fois retirés, sont si contents d’être réchappés que, sauf de rares exceptions, ils sont contents pour le restant de leur vie ; volontiers pauvres, ils sont si heureux d’avoir acquis la certitude que ce bonheur les contente ; la contemplation de ce bonheur les alimente ; optimistes, satisfaits, désormais soumis, doux, conservateurs, ils aiment cette résidence de quiétude ; ils ne demandent pas une égalisation des richesses, parce qu’ils sentent ou parce qu’ils savent