Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/80

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que cette égalisation n’irait pas sans de nouvelles aventures, qu’elle rouvrirait l’ère des incertitudes, qu’elle donnerait ou laisserait place au recommencement du risque ; ils peuvent ainsi redouter cette égalisation comme un recommencement de la misère ; ils n’en sont guère partisans ; ils aiment la conservation politique et sociale, parce qu’ils aiment la conservation de la certitude ; les partis de conservation n’ont pas de plus nombreux contingent, de plus compact, et solide, que celui des pauvres évadés de la misère, assurés contre la misère ; anciens misérables ils ont conservé de la misère une mémoire si redoutée que ce qu’ils redoutent le plus c’est le risque. Les conservateurs modestes non réactionnaires sont les conservateurs les plus conservateurs. Ils n’ont pas du tout la passion de l’égalité. Ils ne sont pas du tout des révoltés. Ils ignorent trop souvent, ou désapprennent, les sentiments de la fraternité.

Quelques misérables au contraire ont gardé de leur misère un souvenir si anxieux qu’ils ne peuvent se tenir dans ces régions de la pauvreté, quantitativement, géographiquement voisines de la misère ; ils fuient en hauteur dans les régions économiques les plus éloignées de la misère ; ils deviennent immensément riches, beaucoup moins par cupidité des richesses que par effroi de la misère ancienne ; ces malheureux ne peuvent retrouver le repos, la paix de l’âme, que dans des situations économiques si éloignées de leur situation première que le voyage du retour paraisse impossible à jamais ; ainsi apparaissent des ambitieux singuliers, singulièrement formidables, ambitieux de gouvernement chez qui la passion du gouvernement n’est pas la pre-