Aller au contenu

Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

peu d’hommes il a été donné de produire ainsi un premier livre, un livre seul, debout comme un pilier, et qui fasse naître cette espèce de préoccupation ; c’est ici une case de l’oncle Tom, un don Quichotte, un Robinson Crusoé, un de ces livres qui surgissent isolés de toute une œuvre ou de toute une vie ou d’un temps même et qui vivent indéfiniment dans les mémoires ; c’est pour cela que le nom de Jean Coste est devenu un nom commun ; ce nom ne sera sans doute jamais aussi répandu que les noms de ces personnages fameux, parce que le sujet du livre est beaucoup moins vaste, moins largement humain, parce que le livre intéresse une humanité beaucoup plus restreinte, parce qu’il est un peu strictement professionnel ; mais, ces réserves faites, ou plutôt ces mesures prises, à proportion le livre de Lavergne est un livre de la famille de ces livres traditionnels ; c’est un livre dangereux pour les suivants, et redoutable pour l’auteur même.

On s’en aperçoit pour peu qu’on sache lire, et si l’on avait quelque hésitation, il suffirait de comparer l’œuvre de Lavergne à certains volumes de Zola ; je ne veux pas entrer par incidence dans la critique d’un monument aussi colossal, mais que l’on compare les misères si fréquemment décrites par Zola dans ses romans à la misère d’un Jean Coste ; les misères de Zola sont presque toujours beaucoup plus noires que la misère de Jean Coste ; les événements sont beaucoup plus graves, beaucoup plus dramatiques ; et pourtant l’impression n’est pas la même ; les misères de Zola sont des misères de description, des misères vues par un touriste laborieux, souvent consciencieux, par un inspecteur des misères, par un excursionniste ; les