Page:Peguy oeuvres completes 02.djvu/90

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misères de Jean Coste sont vues de l’intérieur, vécues par un misérable ; quand on lit du Zola les horreurs accumulées produisent fréquemment une impression terrible ; mais à mesure que la lecture physique s’éloigne l’impression, qui était littéraire, diminue, s’atténue, s’efface, laisse place à une impression de fabrique ou de renseignement ; quand on lit le Jean Coste on n’a pas une impression aussi terrible ; on a plutôt une impression triste, commune, et cette impression si trompeuse, que l’on pourrait en faire autant ; on ferme le livre, sur cette impression qu’il ne nous a rien appris de nouveau ; le temps passe ; les images travaillent dans la mémoire ; les images de littérature s’effacent ; les images de réalité s’élaborent ; Jean Coste, sa femme, sa mère, ses enfants se dessinent, vivent, gagnent ; la charpente même du roman nous apparaît, simple, grande, robuste, solide, loyale ; cette image de Jean Coste et de sa misère nous poursuit, nous hante ; c’est un misérable familier ; il vit parmi nous ; et nous souffrons de ne pas pouvoir lui donner de notre pain : telle est la différence d’un livre classique, réaliste, à une construction romantique, nommée naturaliste ou réaliste.

On m’objectera que Lavergne n’en a pas cherché si long pour faire son Jean Coste ; je l’espère bien ; mais c’est le propre de la probité, de la sincérité classique ; mettant le réel même en œuvre, elle supporte le même examen que le réel ; comme le réel même elle épuise inlassablement la science, la critique, l’analyse ; pour la même raison que l’on marche avant de savoir l’anatomie et la physiologie du mouvement musculaire, pour la même raison Jean Coste instituteur, vivant une vie