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au moins Napoléon ne s’est pas trahi lui-même Le maréchal Napoléon n’a pas trahi Napoléon empereur.

On peut dire que ses dernières joies, tant qu’il marchait, tant qu’il allait encore, furent de venir comme se réchauffer parmi nous aux jeudis des cahiers, ou, pour parler plus exactement, le jeudi aux cahiers. Il aimait beaucoup deviser avec M. Sorel. Je dois dire que leurs propos étaient généralement empreints d’un grand désabusement.

Il avait un goût secret, très marqué, très profond, et presque très violent, pour M. Sorel. Un goût commun de désabusement ; de gens à qui on n’en contait point. Quand ils riaient ensemble, quand ils éclataient, au même moment, car tous les deux avaient le rire jailli, c’était avec une profondeur d’accord, une complicité incroyable. Cet accord saisissant de l’esprit, du rire, qui n’attend pas, qui ne calcule pas, qui d’un coup atteint au plus profond, au dernier point, éclate et révèle. Qui d’un mot atteint au dernier mot. Tout ce que disait M. Sorel le frappait tellement qu’il m’en parlait encore tous les autres matins de la semaine. Ils étaient comme deux grands complices. Deux grands enfants terribles. Deux grands enfants complices qui eussent très bien connu les hommes.

L’amitié qu’il avait pour ces cahiers naissants, pour