Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/148

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J’avais des plans. Il en était loin, de faire un grand journal. Les journaux des autres se faisaient, des autres mêmes, à condition qu’il n’y fût pas. Je revois encore cette grande chambre, rue de Florence, 5, (ou 7) rue de Florence, la chambre du lit, la chambre de souffrance, la chambre de couchée, la chambre d’héroïsme, (la chambre de sainteté), la chambre mortuaire. La chambre du lit d’où il ne se releva point. L’ai-je donc tant oublié moi-même que ce 5, (ou ce 7), ne réponde plus mécaniquement à l’appel de ma mémoire, que ce 5 et ce 7 se battent comme des chiffonniers dans le magasin de ma mémoire, que chacun s’essaye et fasse valoir ses titres. Et pourtant j’y suis allé. Et nous disions familièrement entre nous : Est-ce que tu es allé rue de Florence. Dans la grande chambre rectangulaire, je vois le grand lit rectangulaire. Une, ou deux, ou trois grandes fenêtres rectangulaires donnaient de grand jours de gauche obliques rectangulaires ; tombant, descendant lentement ; lentement penchés. Le lit venait du fond, non pas du fond opposé aux fenêtres où étaient les portes, et, je pense, les corridors, mais du fond qu’on avait devant soi quand on avait les fenêtres à gauche. De ce fond le lit venait bien au milieu, bien carrément, la tête au fond, jointe le fond, les pieds vers le milieu de la chambre. Lui-même juste au milieu de son lit, sur le dos, symétrique, comme l’axe de son lit, comme un axe d’équité. Les deux bras bien à gauche et à droite. C’étaient dans les derniers temps. La maladie approchait de sa consommation. Une profonde, une vigilante affection fraternelle, la diligence d’une affection fraternelle pensait déjà à lui faire, à lui préparer une mort qui ne fût point la consommation de