Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/149

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cette cruauté, qui fût plus douce, un peu adoucie, qui n’eût point toute la cruauté, toute la barbarie de cette maladie forcenée. Qui ne fût point le couronnement de cette cruauté. On lui avait conté des histoires sur sa maladie, des histoires et des histoires. Qu’en croyait-il ? Il faisait, comme tout le monde, semblant de les croire. Qu’en croyait-il, c’est le secret des morts. Morientium ac mortuorum. Dans cette incurable lâcheté du monde moderne, où nous osons tout dire à l’homme, excepté ce qui l’intéresse, où nous n’osons pas dire à l’homme la plus grande nouvelle, la nouvelle de la seule grande échéance nous avons menti nous-mêmes tant de fois, nous avons tant menti à tant de mourants et à tant de morts qu’il faut bien espérer que quand c’est notre tour nous ne croyons pas nous-mêmes tout à fait aux mensonges que l’on nous fait. Il faisait donc semblant d’y croire. Mais dans ses beaux yeux doux, dans ses grands et gros yeux clairs il était impossible de lire. Ils étaient trop bons. Ils étaient trop doux. Ils étaient trop beaux. Ils étaient trop clairs. Il était impossible de savoir si c’était par un miracle d’espérance (temporelle) (et peut-être plus) qu’il espérait encore ou si c’était par un miracle de charité, pour nous, qu’il faisait semblant d’espérer. Son œil même, son œil clair, d’une limpidité d’enfant, était comme un binocle, comme un deuxième verre, comme une deuxième vitre, comme un deuxième binocle de douceur et de bonté, de lumière, de clarté. Impénétrable. Parce qu’on y lisait comme on voulait. C’étaient les derniers temps. Peu de gens pouvaient encore le voir, des parents mêmes. Mais il m’aimait tant qu’il me maintenait sur les dernières listes. J’étais assis au long de son