Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/270

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nous sommes plus et moins qu’amis. S’il y a plus qu’amis. Je veux dire que nous sommes voisins ; commensaux de la même Île-de-France. Voisins de campagne, voisins à la mode de Bretagne, ce qui fait trois ou quatre lieues. Quand je vais le voir, quand il vient me voir, par tous les temps, qui sont tous des beaux temps, il faut que nous franchissions, sous la pluie, sous le soleil, trois et quatre lieues de cet admirable pays, il faut que dans la poussière et dans la boue nous marchions sur la plaine comme des chemineaux, sur cette plaine admirable, il faut que nous montions et que nous, descendions les mêmes côtes, les flancs coupés de ces deux admirables vallées de l’Yvette et de la Bièvre. Coupés dans le plateau. Découpés en courbes, en lignes uniques. Ce n’est pas plus beau que d’aller dans Paris, mais c’est une autre beauté. Cela crée une amitié propre. Ainsi naît une amitié propre. Une amitié rurale est d’une autre beauté qu’une amitié urbaine. Je ne parle point même, Halévy, des services que vous m’avez rendus, de tant de services d’amitié. Ce n’est point précisément d’ingratitude que j’ai à me défendre. Si j’entends bien. Cela serait trop grossier, et pour vous, (et pour moi.) Trop indigne de vous et de moi. Combien de fois n’avons-nous pas marché ensemble sur cette plaine, dans l’exercice et dans la fatigue, dans de brèves libérations des servitudes cérébrales, l’un conduisant l’autre et le reconduisant, combien de fois n’avons-nous pas navigué de compagnie sur cette immense mer, échangeant de rares propos, comme des marins, mais des propos de quelle confidence. Des propos de haute mer. Cette fois terrible, cette confidence terrible, que vous me fîtes il n’y a pas quelques