Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/390

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elle peut se passer. C’est une de ces gageures, c’est un de ces défis. Que nous autres Français nous tenons. C’est là un de ces apports que de temps à autre nous faisons dans le régime dotal de l’humanité. Ce sont là nos apports, nos dotations royales. C’est là un de ces coups de fortune, un de ces coups du génie, (un de ces coups de la grâce), que nous Français nous ne réussissons pas seulement, que nous obtenons ; que de temps à autre nous mettons dans le commun de l’univers. Il faut se faire à cette idée que quand Hugo regardait le soleil et la lune, la lune et les étoiles, le ciel et la mer, le ciel et la terre, la terre et la mer, la mer et la côte, les sables de la dune,

Fleurir le chardon bleu des sables,


quand il regardait l’homme et la femme, l’enfant ; la plaine et la forêt ; le mur et la maison ; la plaine et la moisson ; la maison et la treille ; la vigne et la maison ; le blé et le pain ; la roue et la voiture ; le pain sur la table et le vin dans les verres, (sa compétence allait jusqu’aux limites du pain charnel, du vin temporel ; quel poète chrétien il eût été, s’il eût été chrétien), quand il regardait passer le mendiant sur la route, quand il voyait passer n’importe quels soldats il en jouissait autant, il en saisissait autant, il en prenait possession autant, il regardait, il voyait d’un regard aussi jeune, aussi frais, aussi non usé, aussi neuf, aussi non émoussé, aussi inhébété, aussi non âgé temporellement, aussi non âgé dans le monde, temporel, (malgré ses grosses paupières), il étreignait d’une étreinte aussi neuve, il saisissait d’une saisie aussi neuve, il embrassait l’univers, charnel, d’un embrassement charnel,