Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/391

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d’un embrassement aussi neuf, la terre entière, orbem terrarum, et le fleuve Océan, qui lui-même embrasse le monde, d’une sorte d’étreinte première aussi neuve, aussi inexpériente que Hésiode et qu’Homère, que Eschyle, plus inexpériente, plus inéprouvée que Pindare. Il mangeait son pain, (le pain du corps), d’un meilleur appétit, et sa cuisse de bœuf, il buvait son vin d’un meilleur cœur qu’un compagnon d’Achille, (à plus forte raison qu’un compagnon d’Ulysse). C’est là un de nos tours à nous autres Français. Il voyait le clos et l’espalier. Il savait voir un arbre. Tout vaisseau, tout bateau, à vapeur, lui était une nef. Et il savait directement que la mer est inlabourable. Ce qui veut dire qu’on ne peut pas la labourer. Je sais bien que tout cela, que ce don unique, que ce génie était généralement noyé dans des monceaux de littérature(s), dans des accumulations de talent. Cette mystique païenne était rongée de politique, dévorée d’une, de plusieurs, au moins de deux, d’une double politique. Cet antique, ce génie unique, ce païen unique, cet homme d’un génie unique était ravagé d’au moins un double politicien : un politicien de politique, qui le fit démocrate, et un politicien de littérature, qui le fit romantique. Ce génie était pourri de talent(s). Mais il est bien difficile à un homme qui a reçu (en dépôt) un tel génie de ne pas s’échapper quelquefois ; et de ne pas quelquefois rendre compte. Il avait reçu ce don unique, entre tous les hommes il avait reçu ce don, plus jeune que les anciens avant les anciens il avait reçu ce don de voir la création comme si elle sortait ce matin des mains du Créateur. Il faut avouer qu’il ne s’est jamais échappé, qu’il n’a jamais rendu compte comme dans Booz endormi. Il était dit que le peuple