Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/429

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même, au point d’origine de l’homme et de l’œuvre, se serait ensuite et lentement et patiemment diffusée jusqu’aux membres les plus éloignés ; comme naturellement ; par une diffusion naturelle ; sans compter les contaminations auxiliaires d’une amitié seulement interrompue), (et peut-être seulement apparemment interrompue), ils sont tous quelqu’un à qui la grâce a manqué. Non seulement des chrétiens à qui la grâce a manqué, mais tous, des païens pour ainsi dire à qui la grâce a manqué, des Grecs, des Romains ; des Infidèles à qui (on peut le dire, si étrange que cela paraisse), à qui la grâce a manqué ; des Turcs ; enfin des Juifs mêmes, des prophètes à qui la grâce a manqué, autant qu’on peut le dire, au moins la grâce précisément de prophétie.

Par contre il y a quelque chose de désarmant, de vraiment touchant à voir l’opiniâtreté forcenée, frénétique, l’entêtement, l’efforcement, la persévérance, l’endurance, la force d’illusion sur soi, la méconnaissance de soi, la constance extraordinaire, l’application, le studieux, le sérieux, la patience, le scolaire avec lequel Corneille s’est efforcé pendant toute l’immense deuxième moitié de sa carrière,

Le sort, qui de l’honneur nous ouvre la barrière,
Offre à notre constance une illustre matière ;


s’est appliqué laborieusement à faire des criminels extraordinaires, plus noirs que le noir de fumée, sans jamais parvenir, le vieux et le maître, avec tout ce labeur, malgré tout ce labeur, à faire un seul être disgracié. Racine n’a jamais pu faire un être gracieux, non pas même Bérénice.