Corneille n’a jamais pu faire que des êtres gracieux, Racine n’a jamais pu faire que des êtres disgraciés, et ce qu’il y a de tragique c’est qu’il est impossible de nier qu’il les faisait tout naturellement, qu’ils sortaient de lui, qu’ils lui venaient naturellement ainsi.
Les vieux criminels censément les plus endurcis de Corneille ont le cœur plus pur que les plus jeunes adolescents (et surtout adolescentes) de Racine. L’impuissance à la cruauté des cornéliens est désarmante. La cruauté naturelle, profonde, des raciniens est sans limite. Et cela sans aucune exception. Cette Iphigénie même, par exemple, pour nous en tenir dans ces notes et dans cette inscription à un seul exemple, cette Iphigénie même par exemple dont on nous parle tout le temps, comme elle est déjà foncièrement cruelle, (la cruauté des jeunes, la pire de toutes, la seule peut-être irrévocable, implacable, infernale, irrévocablement condamnée, irrévocablement perdue), (inguérissable et d’ailleurs littéralement monstrueuse), comme sa soumission à son père a un fond de cruauté, comme elle est bien déjà la fille d’Agamemnon et de Clytemnestre. Cette réponse terrible à son père, d’une sourde cruauté tragique.
Mon père,
Cessez de vous troubler, vous n’êtes point trahi.
Quand vous commanderez, vous serez obéi.
Ma vie est votre bien. Vous voulez le reprendre :
Vos ordres sans détour pouvoient se faire entendre.
D’un œil aussi content, d’un cœur aussi soumis
Que j’acceptois l’époux que vous m’aviez promis,
Je saurai, s’il le faut, victime obéissante,
Tendre au fer de Calchas une tête innocente,