Page:Peguy oeuvres completes 04.djvu/448

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qu’il ne l’eût pas été originairement, qu’il ne le fût point demeuré, qu’il ne le fût point naturellement. C’est un des cas les plus fréquents, les plus connus non pas seulement de l’histoire littéraire mais de toutes les histoires. De toute histoire. On ne querelle souvent aussi bien, à ce point d’âcreté, à ce point de cruauté, à ce point de volonté, et en même temps d’instinct, à ce point de pénétration, à ce point de sûreté, à ce point de pointe, que ce que l’on est (demeuré) soi-même.

§35. — Nous savons très bien ce que nous voulons dire quand nous parlons d’un païen, d’un infidèle, d’un Juif à qui la grâce a manqué.

§36. — Sur les gracieux et les disgracieux, il faut évidemment quelque résolution pour avouer, pour convenir, pour voir que Bérénice même est un être disgracieux. Il faut évidemment rompre pour cela avec beaucoup d’habitudes mentales. Il faut refaire beaucoup de faux plis. Mais lorsqu’on va, lorsqu’on atteint à l’organisation même il faut bien reconnaître qu’elle n’est pas un être gracieux. Au sens de la grâce elle n’est pas un être heureux. Elle est, il faut le dire, une malheureuse.

§37. — Le labeur de Corneille au contraire pour ne pas arriver à faire des êtres malheureux, c’est-à-dire, au fond, des êtres disgracieux, disgraciés, est admirable. Au fond il n’y a pas une femme de Corneille dont on puisse dire : C’est une malheureuse ; et il n’y a tout de même pas un homme de Corneille dont on puisse dire : C’est un malheureux.