Page:Peguy oeuvres completes 05.djvu/223

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si pleins de la grâce que la grâce coulait d’eux, coulait visiblement d’eux, débordait d’eux comme une source vive. Et non seulement, mon enfant, tout le monde obéissait, tout le monde suivait ; tout le monde pliait ; non pas seulement cela ; mais tout le monde était heureux ; tout le monde se réjouissait en eux, tout le monde se réjouissait d’eux, tout le monde se nourrissait d’eux ; tout le monde était heureux d’obéir, heureux de suivre, heureux de se soumettre, heureux de plier le front. Tu aurais plié, mon enfant, tu aurais courbé le front. Tout le monde obéissait, suivait avec joie. Ce n’étaient pas comme aujourd’hui astreintes et ingratitudes, rigueurs et duretés, ce n’étaient pas que contraintes et forcements. C’était une joie intarissable, une bénédiction perpétuelle, une joie, une douceur de suivre, un contentement d’y aller. Il aurait fallu faire effort, au contraire, pour n’y point aller, un effort ingrat, un effort impossible, un effort aussi que nul ne faisait, que l’on n’avait point le courage de faire. Une joie de plénitude et de bénédiction. On était comme une terre éclairée, chauffée du soleil, arrosée des bonnes pluies tièdes de printemps, des bonnes pluies tièdes d’automne. On se rendait. On se fondait. Et on se sentait dans la liberté, on sentait que l’on était dans la liberté. On était dans la joie, tu comprends. On pleurait de joie. Tu en aurais pris pour ton grade. On pleurait de joie. On se rendait. On pleurait de grâce. Tout le monde. On buvait ce lait. On se ravitaillait, on se rassasiait, on se baignait dans cette grâce. Il y en avait de trop. On en perdait. On en a trop perdu. On ne savait plus quoi en faire. Ça coulait de toutes parts. Ce n’était pas comme aujourd’hui. Aujourd’hui on