Page:Peguy oeuvres completes 05.djvu/42

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Hauviette

— Je ne suis pas amie seulement, je suis une fille qui voit clair. De faire du bien aux autres, nous autres ça nous ferait du bien, si seulement on en faisait. Mais toi rien ne te fait du bien. Tout te fait du mal. Tout te laisse sur ta faim. Tu te consumes, tu te consumes, tu es consumée de tristesse, tu es perdue de tristesse, tu as, pauvre grande, tu as une fièvre, une fièvre de tristesse, et tu ne guéris point, tu ne te guéris jamais. Tu as une grande fièvre. Tu es pétrie de tristesse. Ton âme est pétrie de tristesse. Ton oncle est allé la chercher, hein.

Jeannette

— Il est vrai que mon âme est dans la tristesse. Tout-à-l’heure encore…

Hauviette

— Alors pourquoi faire semblant, pourquoi vouloir ressembler à tout le monde.

Jeannette

— Parce que j’ai peur.

Hauviette

— La tristesse, la peur, la détresse. C’est une grande famille et il y en a beaucoup. On dirait que tu as consommé toute la tristesse de la terre.

Jeannette

— Comment une âme ne serait-elle pas noyée de tristesse. Tout-à-l’heure encore j’ai vu passer deux enfants, deux gamins, deux petits qui descendaient