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OEU VRES POSTHUMES

demande toujours : Eh bien, qu'est-ce que vous allez faire à présent ? L'autre lui répondit, comme on répond toujours : Eh bien j'ai un peu d'argent devant moi. J'ai fait des économies. J'ai un peu de temps. Je vais aller en Orient.

A ce mot d'Orient le vieux peintre se réveilla tout d'un coup, on ne sait pas pourquoi. C'était une brute, vous le savez, un homme sans aucune culture, il ne savait rien de rien, (on dit seulement qu'il savait peindre). A ce mot d'Orient tout à coup il se réveilla, il redevint présent. Il était là, lui Courbet, oubliant, la politesse, oubliant l'indifférence ; il vit ce petit jeune homme ; il ouvrit un œil tout rond, un œil de peintre, etde son gros accent franc-comtois : Ah ! (dit-il comme revenant de très loin). Ah vous allez dans les Orients. (Il disait les Orients, il était tout peuple, il disait les Orients comme on disait les fies, les Indes ; il parlait comme dans Manon Lescaut; et il avait tellement rai- son de dire les Orients). — Ah, vous allez dans les Orients, dit-il. Vous n'avez donc pas de pays.

Il faut entendre ce mot, dit-elle, comme il a été dit. Nullement comme un mot. Il en était à cent lieues. Nullement pour avoir de la portée. Encore moins pour faire de l'effet. Il faut le prendre comme un mot inno- cent, dit-elle, et c'est ce qui lui donne une portée incal- culable.

Nous tous, mes enfants, dit-elle, nous modernes ; nous tous nous allons dans les Orients ; et nous tous sommes ceux qui n'ont point de pays. Et doublement

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