Page:Peguy oeuvres completes 08.djvu/47

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réalisent comme un premier jugement dernier, temporel elles font comme une (première) image, temporelle, d’un jugement dernier.

Il est effrayant, mon ami, de penser que nous avons toute licence, que nous avons ce droit exorbitant, que nous avons le droit de faire une mauvaise lecture d’Homère, de découronner une œuvre du génie, que la plus grande œuvre du plus grand génie est livrée en nos mains, non pas inerte mais vivante comme un petit lapin de garenne. Et surtout que la laissant tomber de nos mains, de ces mêmes mains, de ces inertes mains, nous pouvons par l’oubli lui administrer la mort. Quel risque effroyable, mon ami, quelle aventure effroyable ; et surtout quelle effrayante responsabilité. Quelle conjecture, quelle conjonction que cette opération bilatérale. D’un côté, d’une part quel risque pour l’auteur ; l’auteur ne voyait plus clair sur son œuvre ; il s’apercevait, non sans un certain effroi, non sans une certaine contrariété, intérieure, car il connaissait bien, il reconnaissait que c’était la fin, que dans un instant il n’y ferait et n’y pourrait plus rien, que dans tous les instants ultérieurs il n’y serait plus rien, que c’était l’annonce et l’antécédence de la mort de son opération propre, de son effectuation propre de son œuvre par lui, l’auteur s’apercevait qu’il fallait laisser ça, (parce) qu’il se retournait pour ainsi dire lui-même en lui-même contre lui-même, qu’il prenait, malgré lui-même et contre lui-même, qu’il revêtait pour ainsi dire une attitude contraire à son attitude originelle, une attitude