Page:Peguy oeuvres completes 08.djvu/48

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ŒUVRES POSTHUMES mentale originairement et toute contraire à sa première attitude, à son attitude d'auteur. Involontairement, irrévocablement, quoi qu'il en eût, à son génie défen- dant, il se sentait devenir un autre homme, un homme tout contraire ; il revêtait un autre homme, dont à mesure qu'il y entrait, qu'il en recevait le (re)vêtement il ne pouvait pas se débarrasser ; un manteau de Cen- taure ; d'auteur il se sentait invinciblement devenir le contraire, public. Il se sentait devenir le premier rang de son public, l'homme qui est là devant, qui regarde, l'im- bécile, qui ouvre d'autres yeux, des yeux inconnus, in- connaissants ; bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux ; le premier de ces messieurs ; le premier à passer, dans le temps, dans le passage du temps ; celui qui est à la barrière, là, à la barrière qui sépare les œuvres du pu- blic; celui qui a cette main (grossière) (si grossièrement) appuyée sur la balustrade ; il se sent invinciblement devenir, il devient cela, cette misère, cette stérilité, cette impuissance, le premier spectateur, le premier lecteur, le premier qui regardera ; il se voit ; il se reconnaît là ; c'est lui cet homme ennemi, désormais ; plus qu'ennemi, irrévocablement étranger. C'est lui- même, cet autre, c'est lui-même et c'est désormais son plus grand ennemi, infiniment plus : son plus grand étranger. Alors il ferme. Il faut rompre. Il faut fermer. C'est lui, l'homme à la balustrade. On va fermer, il ferme. Il ne se doute pas, le malheureux, que le public, lui, ne fermera jamais, ou que s'il ferme, ce sera jamais la pire des hypothèses, la pire des solutions, éven-

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