Page:Peguy oeuvres completes 13.djvu/293

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main ils ont peur de cet admirable français, dont ils font, on se demande comment, par exemple, il faut le voir pour le croire, et pour s’en rendre compte, dont ils font un instrument de fléchissement, de faiblissement. Aussi ils font un texte dont il n’y a pas besoin d’avoir peur. Il faudrait qu’un grand écrivain, c’est-à-dire qui écrit simplement, nous donnât un jour une version française de Matthieu et de Marc et de Luc et de Jean, en se proposant uniquement de garder la vigueur et le plein de la Vulgate, cette sorte de plein plan ; cette autorité grave ; cette vigueur juteuse ; cette plénitude juste ; ce froment et cette grappe ; cette originaire, cette dure et tendre Vulgate. Il faudrait un écrivain, il faudrait un Français qui ne rougirait pas des nobles hardiesses latines.

Sunt verba et voces. Neque ideo neglegenda. Qu’y a-t-il de plus important que le verbe. Singulière destination. Préparation de huit et dix siècles. Mais qu’est-ce que c’est. Le dur laboureur sabin, albin, — (Rome est sujette d’Albe), — le brigand et le pasteur qui forgeaient cette langue ne savaient point pour quel Dieu ils travaillaient. Quand ils disaient via, celle qui porte, la voie, pour les voitures. Quand ils disaient veritas, la vérité. Quand ils disaient vita, la vie. Quand ils disaient crux, le gibet de torture. Ils ne savaient point. Ils croyaient servir Vertumne et Pomone, et ces dieux latins plus laboureurs et plus familiers, plus paysans, plus sombres et plus jardiniers, plus petits, plus méchants aussi, plus sournois que les beaux jeunes hommes dieux grecs. Ils ne savaient point qu’ils servaient le Dieu qui venait, et que Rome un jour deviendrait romaine.