Page:Peguy oeuvres completes 13.djvu/308

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l’habitude de sa pensée, une certaine verdeur d’expression, assez d’humour, peu de goût, pas du tout d’esprit (çà et là des plaisanteries d’une incroyable lourdeur). Rien de vulgaire ; mais quelque chose de très âpre[1] et, en même temps, de geignard ; et aussi, à l’occasion, de roublard. Bref, un type dans le genre de Michelet, proportions gardées.

Ajoutons : un orgueil frémissant et sans bornes, qui ne paraît pas toujours pur de tout alliage d’envie — ce qui est très « peuple » aussi. Cet orgueil s’affirme de la façon la plus naïve. Les Œuvres choisies de Péguy commencent par des « portraits d’hommes » ; et ces hommes sont : Zola, Jaurès, Clemenceau, Renan, Bernard-Lazare, Péguy. Elles donnent fortement l’impression, d’un bout à l’autre, que, pour Péguy, ce que dit Péguy n’est pas rien.

Il s’exprime d’une étrange manière, qui dénonce tout de suite en lui l’écrivain que la longanimité bienveillante d’un public restreint, spécialement recruté et choisi, a gâté (au sens où l’on emploie ce mot en parlant des enfants). Il semble qu’il avait, dès l’origine, des tendances à surveiller : de la propension aux exposés discursifs, sans queue ni tête ; je ne sais quelles entraves dans le mécanisme de la pensée ; du goût pour l’allitération et la litanie, avec des symptômes d’écholalie, et pour des puérilités typographiques bien connues des psychiâtres. Ces infirmités sont de celles qui peuvent s’atténuer quand on les reconnaît pour ce qu’elles sont et qu’on s’impose à cet effet une discipline exacte. Mais il a été permis à l’éditeur des Cahiers de la Quinzaine, par l’indulgence d’un petit cercle admiratif, intimidé ou apitoyé, de se laisser aller sans contrôle, et même de prendre ses défauts pour des qualités et ses manies pour des dons. Il les a, en conséquence, cultivés

  1. Dont il a conscience : « Cette… âpreté paysanne… » (page 59). — (Note de la Revue Critique).