Page:Peguy oeuvres completes 13.djvu/60

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et presque en dehors de l’ordre ; disons le mot, comme des corvées, extrêmement désagréables, qu’il fallait bien faire, parce que tel était l’ordre de Dieu, et qu’il avait ses raisons, mais qui étaient certainement la plus grande épreuve que Dieu pût envoyer à ses saints. Tel était le goût, studium, que les saints ont généralement eu pour les missions publiques. Les vies de saints, si M. Laudet en connaissait seulement une, et comme par hasard la vie de Jeanne d’Arc, et en plusieurs points, notamment celui que nous avons dit, la vie de Jésus, les vies de saints publics sont pleines de résistances pour ainsi dire à la publicité. Il est avéré que les saints publics ont toujours été remplis d’épouvante à l’idée même d’une mission publique, à la simple éventualité, au seul commandement, à la seule idée ; qu’ils ont toujours demandé à Dieu par les mérites de Jésus-Christ et directement et indirectement par les autres saints d’abord et longtemps et vivement et profondément et quelquefois violemment de ne pas être chargés de ces missions, ensuite qu’ils ont toujours demandé par les mêmes mérites pour ces objets propres, pour ces missions extraordinaires des secours extraordinaires ; car ils se sentaient comme dépaysés, désaxés dans ces missions publiques ; ils s’y sentaient hors de leurs mœurs mêmes, (Jeanne d’Arc l’a senti et dit avec une acuité de vision admirable) ; ils s’y sentaient dans un très grand danger ; in maximo periculo et dans une épreuve extraordinaire ; ils s’y sentaient hors de leur place et comme provisoirement détachés, provisoirement délégués ; ils s’y sentaient affectés, extraordinairement et comme provisoirement appliqués à un métier, à un office qui n’était pas le leur ; ils s’y sentaient hors de leur matière, hors