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le vice suprême

— « Raconte-moi de ça » dit Bianca, en entraînant son amie au balcon.

Une lumineuse nuit enveloppait le jardin de son mystère séducteur. Des bruits d’insectes, de feuilles, de sources, s’élevaient et s’abaissaient comme une respiration de la nature endormie et rêvant.

De la terre, les souffles humides et chauds montaient au balcon, en effluves grisantes ; de l’herbe pleine de lucioles, du ciel plein d’étoiles, des charmilles pleines d’ombre, du silence plein de voix, du sommeil plein de vie, une fascination sortait.

— « Raconte-moi, dis… » insistait Bianca.

— « Plus tard… pas maintenant… ne me parle pas ; laisse-moi… Je suis bien… » disait mollement Leonora.

Les phalènes frôlaient ses joues de leur contact de velours ; un sourire pâmé lui entr’ouvrait les lèvres ; sur elle, délicieusement, des torpeurs descendaient, et des sensations nouvelles et diffuses faisaient courir sur sa peau moite de petits frissons d’une volupté douloureuse.

— « Ne voudrais-tu pas, » disait Bianca en lui prenant la taille, « qu’à ma place ce fût un beau cavalier qui te tint dans ses bras ? »

— « J’aimerais mieux le voir à mes genoux, » répondait Leonora qui, toujours accoudée, fixait ses yeux dilatés sur l’ombre, hypnotisée par le magnétisme de cette nuit d’été.

— « Vas-tu attendre là, l’aurore aux belles main, aux pieds étincelants ?… » s’écriait en riant Bianca.

Elle fit un effort et s’arracha du balcon plutôt qu’elle ne le quitta, les oreilles rouges, la tête lourde, la bouche séchée.

Déshabillées, elles s’attardaient aux menus soins de toilette, lorsque Bianca s’écria tout à coup :

— « Viens nous voir ! »

Et, entraînant son amie devant la psyché, elle rejeta son peignoir et arracha celui de Leonora avant que celle-ci ait pu s’y opposer.