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le vice suprême

La nudité de leur corps leur apparut, imprévue, nouvelle, inconnue. Elles ne s’étaient jamais regardées ainsi, s’ignorant, et leur beauté fit monter des exclamations à leurs lèvres. Les bras enlacés, appuyées l’une à l’autre, en un groupe d’art, souriantes, rougissantes, avec la palpitation d’un plaisir sous le sein, elles se contemplaient curieuses, ravies, troublées.

Bianca paraissait la toute jeune fille de cette Vénus couchée, qui montre à la tribune, avec une lasciveté repue, l’animale séduction de son corps puissamment voluptueux. Elle en avait déjà les formes charnues, la chaude couleur, et sa gorge basse était d’une femme et hanches annonçaient la fécondité.

Un ange de missel, dévêtu en vierge folle par un imagier pervers ; telle semblait Leonora. Éblouissante de matité, sa carnation était celle de la Source, sans un rehaut rose, même au genou, même au coude ; et la pâleur de ses bras minces se continuait à ses mains ; et celle de ses tombantes épaules à son long cou. Elle était maigre douillettement, sans que nulle part l’ossature parût. Sur sa poitrine plate, les seins petits mais précis s’attachaient brusquement sans transition de modelé distants et aigus. La ligne de la taille se renflait peu aux hanches, se perdant dans les jambes trop longues d’une Eve de Lucas de Leyde. L’élancement des lignes, la ténuité des attaches, la longueur étroite des extrémités, le règne des verticales immatérialisait sa chair déjà irréelle de ton : on eût dit une de ces saintes que le burin de Schongauer dénude pour le martyre ; mais les yeux pers au regard ambigu, la bouche grande au sourire inquiétant, les cheveux aux flavescences de vieil or, toute la tête démentait le mysticisme du corps.

Bientôt elles se sentirent gênées d’être nues et Bianca éteignit le candélabre.

— « Tu ne m’en voudras pas ? » fit-elle dès qu’elles furent couchées.

— « T’en vouloir, et pourquoi ? » demanda Leonora.