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le vice suprême

heureux. Tous étaient en verve, Sarkis de discourir, Warke d’improviser, Bojo de croquer, Leonora d’écouter, de l’esprit et des yeux. Un triple commentaire d’érudition, de dessin et de musique lui décuplait l’impression de ce qu’elle voyait, la rendant ineffaçable.

Ils avaient quitté Florence depuis sept mois, quand de Pise, Sarkis télégraphia leur retour. Le duc était dans ses terres de Lombardie et ce fut Gaga qui décacheta la dépêche. Depuis le départ de la princesse, elle avait obtenu d’habiter au Palais.

— « Là, » lui avait-elle dit, « tu auras « Gaga à gogo, » mais là seulement. »

Le duc englué par l’habitude déjà prise de cette débauche canaille, de cette luxure de faubourg, arrivé à un âge où il ne pouvait plus être aimé et ne sachant que faire en son ennui, s’était laissé glisser dans les bras bêtes de cette fille, et selon le pronostic de Sarkis, il oubliait déjà le décorum du vice patricien.

Elle l’avait ensorcelé par tout ce qui aurait dû le préserver, la provoquance du geste, le langage de barrière, l’allure de brasserie, l’ineptie dans le cynisme. Dilettante jadis, il eût donné maintenant tout Palestrina pour une de ces scies de Bullier qui sont la floraison de Parris bête, ce Paris qui a applaudi la Belle Hélène. Avec joie de tricoteuse se vautrant dans le lit de la reine, Gaga avait monté les quatre marches de l’immense lit à colonnes, et cela la grisait, le malin, d’apercevoir en ouvrant les yeux un blason au-dessus de sa tête.

En relisant la dépêche de Sarkis, elle pensa qu’elle n’avait plus qu’à laisser la place à cette hautaine princesse que Torelli lui-même redoutait.

La curiosité de voir une chambre de jeune Altesse lui vint. Les tiroirs furetés, les cabinets d’ébène burgauté parcourus, le lit tout en dentelles blanches l’attira et avec le plaisir et le pressentiment d’une profanation, elle entra dans ce lit où tant de fois, la chair rébellionée avait été vaincue.