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le vice suprême

elle regarda son mari, le visage blanc de sommeil, la bouche aux lèvres sèches et ouvertes, qui dormait dans une pose aplatie.

— « Voici l’homme ! et voilà le plaisir ! » pensa-t-elle. Une ironie intérieure de ses résistances aux caresses aimantes de Bianca, à celles adoratrices de Betty, ricana en elle.

Un lambeau de son peignoir gisait sur le tapis, elle se vit nue ; et sur sa chair d’une blancheur si égale les baisers du prince avaient laissé des plaques rouges. Ces stigmates de la possession brutale lui mirent à l’épigastre une nausée qui lui monta au cerveau, emplissant sa pensée. Il lui sembla que sa peau avait honte et que ces rougeurs étaient la confusion de son sang souillé.

Elle sauta du lit, s’enveloppant d’une robe et courut à la salle de bains. Il fallut, malgré l’heure matinale, qu’on lui allât chercher du savon de lessive. Elle se fit frotter des pieds à la tête et pour se désinfecter s’arrosa de parfums violents.

— « Je sens la Bête, » pensait-elle.

Sa peau fine s’enflamma, et après deux heures de bain, en revêtant une robe noire, un violent picotis du sang lui donnait la sensation d’être couverte et mangée de vermine.

Entrant brusquement chez Sarkis :

— « Je vous le disais bien que j’y allais, j’en sors…"

Et comme le précepteur, navré, se taisait.

— « Mon cas est unique. Je ne demandais à cette nuit que d’être charnelle et… Ma vengeance sera du même ! »

Au déjeuner, le prince qui avait réfléchi était anxieux, non qu’il se repentît, mais parce qu’il craignait de ne pouvoir recommencer. Il s’’empressa, s’étonnant d’une robe noire.

— « Cela veut dire qu’il vous faut prendre le deuil de moi, comme je l’ai pris pour vous… »