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le vice suprême

Et avec son grand air patricien :

— « N-i, ni, c’est fini. »

Malatesta, vaguement souriant, ne répondit pas. Le dessert apporté et les portières tombées sur les domestiques sortis :

— « Madame,… » commença-t-il.

— « Écoutez, » interrompit-elle ; « je suis plus que belle, séductrice ; je suis savante au point que vous ne pouvez parler sans que je rie ; et je suis plus perverse que vous, puisque je connais tout le vice et n’en ai aucun. Ainsi donc n’essayez pas de lutter. »

— « Vous me refusez donc désormais le devoir conjugal ? » dit brusquement le prince.

— « Le devoir conjugal ? » articula Leonora en donnant au mot une accentuation incisive.

— « Soyons francs ! » commença-t-elle avec une ironique bonhomie ; « nous nous sommes épousés, vous par lubricité, et moi aussi, je vous l’apprends. Si vous m’aviez satisfaite, je n’aurais rien à vous reprocher ; mais vous avez gâché ignoblement une chose qui m’avait tant coûté à conserver. Oh ! je ne vous fais pas de scène, je ne pleure pas, je ne récrimine pas ; voyez, si je ne déjeune pas de bel appétit… »

Malatesta regardait s’évanouir son rêve : avoir son vice dans sa femme. Les pensées à fond de la princesse, qui semblait voir par delà les choses, le rendaient muet.

— « Ah ! » reprit Leonora, « où est le temps où je me récitais Shakespeare ? Le balcon me masquait l’alcôve, le ciel étoilé, le ciel de lit. Le chant du rossignol et le craquement d’un sommier diffèrent… Oui ! Derrière le poème, il y a un bourbier… Mon cher mari, dussé-je sécher de désir et voir ma continence assaillie par plus de tentation que la légende n’en attribue à saint Antoine, je jure bien, sur mon orgueil, de ne jamais me ravaler, même si aimer, cet impossible arrivait, à aucune œuvre précise de la chair… »