Page:Pellerin - Le Bouquet inutile, 1923.djvu/11

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et possédait, en fin de compte, une chance de l’emporter sur la durée d’un beau vers ou l’éclatante promesse du temps ! Non. Il n’est pas ici question de perdre une seconde fois Jean Pellerin. L’œuvre qu’il a construite, de son vivant, demeure après sa mort et c’est cette œuvre qui, sans le secours de personne, défend à présent de la mort tant de beautés et de trésors nouveaux dont nous ne serons pas les seuls à être visités.

Quand mon fil se cassera sous
Les ongles de la Parque,

demandait-il,

Quand ma bouche aura les deux sous
Pour la dernière barque,
Où serez-vous ? Dans le jardin
Où je devrai descendre ?
Que serez-vous ? Charme, dédain,
Douce chair — ou bien cendre ?

Déchirante et discrète manière qu’avait Jean Pellerin de céder, par moments, à ce pressentiment qui l’éclairait et qui, sous les dehors d’une aimable fantaisie, puisait aux sources noires du désenchantement et lui faisait biffer le premier titre de son volume de vers pour le remplacer par : le Bouquet inutile. Mais, de ce désenchantement, il ne souffrait jamais qu’on en prît au tragique les allusions voilées d’une amère ironie. Cela lui était odieux. Il n’en voulait pas entendre parler et sa fierté, qui était grande, se regimbait sitôt qu’on la voulait forcer ou approcher pour la percer à jour.

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