Tel autre acquittait ou ne prononçait que des peines légères. Les verdicts furent en quelque sorte tirés au sort.
Le premier élément dominait, parce que l’autorité voulut qu’il dominât, et choisit les juges en conséquence. C’était un spectacle affligeant pour l’honneur de la France, que celui de certains de ces magistrats improvisés. L’un d’eux, le commandant Gaveau, chargé du rôle du ministère public près du conseil de guerre qui jugea les causes les plus importantes (celles des membres de la Commune, de Henri Rochefort, de Rossel), avait été, à ce qu’on m’assure, des plus furieux pendant le massacre, et ne s’en était pas remis. Il aurait assisté, nous dit un témoin, à la boucherie des Quinze-Vingts : il en avait encore l’éblouissement rouge dans les yeux. Son cerveau, d’intelligence bornée, avait été profondément atteint par l’ébranlement qu’il en avait ressenti. Il est entré depuis dans une maison de fous où je crois qu’il est mort[1]. C’est entre la fureur du massacre et la folie déclarée, qu’il portait la parole dans les plus graves affaires. Je l’ai vu maintes fois dans l’exercice de ses fonctions de magistrat : c’était chose navrante. Hors d’état de discuter, incapable de conduire une phrase jusqu’au bout, toujours exaspéré, il faisait entendre, pour tout réquisitoire, des quintes de colère, de brutales violences. Accusés, avocats, il distinguait à peine. Tel autre, chargé de l’instruction, faisait passer des notes au plus féroce des journaux boulevardiers, et disparaissait depuis, après une condamnation flétrissante. Parmi les présidents, certain colonel de cavalerie eut une heure
- ↑ On peut juger du caractère du massacre, par l’effet qu’il produisit sur ceux qui y avaient pris part. Il serait aisé de recueillir les noms d’un certain nombre d’officiers de l’armée qui furent atteints d’aliénation mentale à la suite de la semaine de Mai.