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sur un vaste horizon de plaine avec des fumées, des toits en zinc, et de cheminées d’usines en briques. D’un autre côté surgissait un grand mur avec des arbres fruitiers en espalier.

C’est dans ce jardin que les généraux Clément Thomas et Lecomte étaient tombés le 18 mars. Menacés, étouffés par la foule dans une des pièces du rez-de-chaussée, soudain ils furent emportés par une poussée furieuse, bousculés, jetés au mur, massacrés. Un maître, M. Alphonse Daudet, qui a visité le jardin quelque temps après leur mort, l’a décrit tel qu’il l’a vu, encore tout saccagé par cette scène affreuse : les clôtures à terre, en pièces ; le jardin piétiné, ravagé, plein de débris ; le mur grêlé d’éraflures de balles, avec des lattes d’espalier rompues et des branches de pêcher cassées où des fleurs roses essayaient de s’ouvrir.

Ainsi commença le printemps pour ce jardin. Voici comment il s’acheva.

Quand l’armée arriva, elle sembla croire, par je ne sais quel mysticisme de répression que la rue même fût criminelle, et que chacun de ses habitants eût sur lui une éclaboussure du sang de Clément Thomas et de Lecomte. On fusilla largement. Puis l’on s’installa au no 6 (le lecteur y a déjà vu amener de malheureux pris de côté et d’autre) ; on fit aux mânes des deux généraux d’affreux sacrifices ; et le jardin vit des scènes de torture et de mort dont l’invention barbare et superstitieuse était digne du onzième siècle.

Les prisonniers étaient amenés là de tous côtés : quels prisonniers ? Tous ceux que le soupçon ou la délation désignait à des troupes furieuses ; tous ceux qu’on arrêtait pour une vareuse, pour un pantalon, pour une paire de souliers ; tous les habitants des maisons qu’on vidait de la cave au grenier ; tous ceux que