Page:Pelletan - La Semaine de Mai.djvu/80

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la colère aveugle d’un caporal pouvait faire saisir pour un regard de travers ; tous ceux qu’une vengeance particulière faisait signaler par un voisin ; à un moment où toutes les dénonciations étaient accueillies. Les prisonniers étaient entassés dans ce jardin. Et là il leur fallait demander pardon pour le crime qu’ils n’avaient pas commis. Pardon à quoi ? — Au mur, à sa face de plâtre, à l’espalier rompu, aux éraflures de balles.

Cette humiliation stupide devant les choses inanimées était un système chez les vainqueurs ; nous verrons plus tard des prisonniers forcés à s’agenouiller en passant devant les églises pour leur demander pardon de l’impiété de la Commune, ou à saluer les grilles de Versailles, « la ville de Louis XIV », comme ne manquaient pas de le faire remarquer certains officiers, pour demander pardon au souvenir du despote, des révolutions que la France a traversées depuis : ici, la torture se joignait à l’humiliation.

Il fallait que le prisonnier prosterné dégradât son front d’homme dans la poussière, — non pas un instant, mais de longues heures, une journée entière. Deux rangées de malheureux, où il y avait des vieillards, des enfants et des femmes, étaient soumis à cette souffrance, pour faire amende honorable à des platras. Le sol blessait leurs genoux, la terre souillait leur bouche et leurs yeux, leurs articulations raidies s’ankylosaient, une insupportable souffrance brûlait leur gorge desséchée et leur estomac vide, le soleil brutal de mai tapait sur leurs nuques découvertes ; et si quelqu’un bronchait, si une tête se relevait, si un genou essayait de se dérouiller, des coups de crosse remettaient le rebelle dans la posture obligée.

Quand le supplice était terminé, on désignait un certain nombre de malheureux, et on les conduisait sur la