Aller au contenu

Page:Pelletan - Le Monde marche.djvu/204

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

accumulés, toujours les mêmes pour le rocher, ne forment réellement par rapport à lui, du premier au dernier siècle, qu’une seule minute.

Le serf russe vivrait cent ans sur sa motte de terre, que si pendant ces cent ans, profondément enseveli dans la léthargie du cœur et de la pensée, il a répété exactement le même thème d’existence, comme la roue du chariot répète la même évolution autour de l’essieu, il aura moins vécu, en fin de compte, que l’homme approvisionné de toute la vitalité de la civilisation, qui en trente ans, quarante ans, plus ou moins, a épuisé toute la série imaginable de sentiments et d’idées. Car la vie, encore un coup, consiste non pas à consommer du temps, et toujours du temps dans l’insensibilité du sommeil, mais bien à condenser en nous, et à rayonner hors de nous, dans l’intervalle de notre passage, la plus nombreuse et la plus rapide succession possible de sensations et d’actes, d’affections et de connaissances. Vivre en tout c’est vivre cent fois, avez-vous dit vous-même dans une heure d’inspiration.

Or, c’est là précisément l’œuvre du progrès ; par l’art, par l’étude, par le commerce, par l’échange incessant de la vie, il rapproche sans cesse de nous et il range sans cesse à notre circonférence le temps et l’espace. Il étend notre âme partout, il la répand partout, en avant et en arrière, dans le passé et dans l’avenir. Contemporain de chaque siècle, l’homme de progrès entre en jouissance de l’éternité dès cette vie, en quelque sorte, à quelque heure