Page:Pelletan - Le Monde marche.djvu/31

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Après la bataille de l’Alma, on vit un étrange spectacle. Un soldat anglais de taille homérique gisait sur le plateau, la face au ciel, l’œil ouvert et la prunelle fixe, comme s’il couvait du regard un ennemi dans l’espace. Il était mort cependant ; une balle l’avait frappé au flanc, et la plaie avait coulé avec abondance. Mais pendant qu’il râlait, pendant qu’il palpitait encore sur l’herbe, un vautour voltigeait autour de sa tête pour dévorer la chair encore chaude de la victime ; le blessé avait pu voir, à travers le voile de l’agonie, flotter, comme un voile de plus, l’ombre funèbre de l’aile de ce dernier ennemi. Or, recueillant par un effort suprême un dernier reste de force, il avait saisi le vautour par le cou, et l’avait étranglé avant de rendre le dernier soupir. Quoique mort, il le tenait toujours d’une main éternellement contractée, et tous deux reposaient à côté l’un de l’autre sur le même champ de carnage.

Faisons comme le soldat. Tâchons d’étrangler le vautour. Vengeons Prométhée. Après cela nous pourrons mourir.