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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

lité des mots. La noblesse et la bassesse ne sont pas dans les termes, simples signes des idées, mais dans les idées que ces termes désignent ; et comme la loi souveraine de l’art consiste en l’accord de l’expression avec la pensée, le mot propre est toujours assez noble. Déclarer qu’il n’y a plus de castes dans la république des mots, c’était donner accès à tous ceux qu’avaient jusqu’alors écartés les dégoûts du classicisme ; c’était, en même temps que rendre la vie au style, décupler les richesses du vocabulaire. Quand Victor Hugo dit :

 
Pas de mot où l’idée au front pur
Ne puisse se poser, tout humide d’azur,


il ouvre d’un seul coup à l’écrivain un arsenal de vocables qui renouvellent la langue, et ces vocables, qu’excluait le « style noble », ce sont justement les plus significatifs, ceux qui semblent en contact immédiat avec les objets, qui en font surgir la vision directe, qui nous en donnent, non pas une définition incolore et abstraite, mais une réelle et vivante image.

Le romantisme ne renouvela pas moins profondément la métrique que la langue. Il multiplia les rythmes ; il répara la rime ; il fit de notre monotone alexandrin l’instrument de versification le plus souple, le plus sensible, le plus expressif.

Entre les innombrables rythmes employés par Ronsard et la Pléiade, Malherbe, appliquant à la réforme de la métrique le même exclusivisme qu’à celle de la langue, en avait choisi quelques-uns, les plus réguliers et les plus simples, qui suffisaient à son génie altier, mais indigent et raide. Les deux siècles classiques s’en contentèrent. L’inspiration de poètes comme Jean-Baptiste Rousseau ou Le Franc de Pompignan n’était ni assez vive ni assez originale pour se sentir à l’étroit dans ces formes consacrées, sur le patron desquelles leur rhétorique mesurait d’avance ses froides apostrophes et ses prosopopées de commande. Le roman-