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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

L’enrichissement du vocabulaire donnait aux romantiques des moyens nouveaux. Non seulement ils exigèrent une plénitude de son que notre poésie ne connaissait plus depuis deux siècles, mais encore ils proscrivirent, entre des mots qu’une mutuelle convenance rapproche, les homophonies par trop faciles dont abusaient les pseudo-classiques. Cette double réforme, inspirée par un juste et délicat sentiment de l’art, ne resta pas à l’abri de tout excès. Au lieu de voir dans la rime un accent du rythme plus marqué que les autres, les romantiques de la seconde génération, et surtout ceux de la troisième, lui donneront un rôle prépondérant : ils lui assujettiront l’alexandrin tout entier ; ils exagéreront à plaisir des difficultés gratuites ; leur triomphe sera de faire suivre à la fin du vers le plus grand nombre possible de lettres consonantes ou d’associer entre eux des mots qui semblent s’exclure. Mais, parce que l’école devait aboutir à de puérils raffinements, ce n’est pas une raison pour méconnaître ce qu’avait de légitime et de nécessaire la réforme opérée par ses propres maîtres. Victor Hugo, qui en fut le principal ouvrier, n’abuse de sa virtuosité que dans certaines fantaisies archaïques ou dans ce genre purement descriptif et pittoresque dont le plus grand mérite est une irréprochable perfection de forme. Entre l’indigence des pseudo-classiques et la prodigalité de nos rimeurs contemporains, il y avait une juste mesure, et, si le romantisme la dépassa, ce ne fut guère que sur son déclin. Il mérita bien de notre versification, en la débarrassant des rimes insuffisantes qui ne remplissent pas l’oreille, et des rimes communes qui ne satisfont pas l’esprit ; en demandant à la fin du vers non seulement des sons assez riches pour rehausser le rythme, mais encore des mots assez expressifs pour le soutenir.

Le renforcement de la rime n’était d’ailleurs qu’une conséquence inévitable des atteintes que porta le romantisme à la symétrie classique : il fallait que la rime fût assez riche pour maintenir la sensation de la mesure, si souvent troublée par des contretemps. Victor Hugo et ses disciples