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RÉNOVATION DE LA LANGUE ET DE LA MÉTRIQUE.

altérèrent profondément la constitution intérieure de l’alexandrin que leur transmettait l’école classique. La Pléiade les avait devancés ; mais elle fut loin de porter dans les coupes du vers la même science rythmique que dans les diverses combinaisons des rimes et des mètres. Nos poètes du xvie siècle n’usent trop souvent des libertés qu’ils ont prises que pour laisser leurs alexandrins se cadencer à l’aventure et chevaucher en toute licence les uns sur les autres. Malherbe imposa définitivement un repos à la fin de chaque hémistiche. L’alexandrin classique, dont Boileau maintient après lui la sévère formule, juxtapose deux fragments de six syllabes, à peu prés indépendants l’un de l’autre et ne pouvant jamais se donner la main par-dessus la césure médiane, en une seule unité métrique que la césure finale sépare rigoureusement de l’unité suivante.

La symétrie d’un tel vers était en intime accord avec le caractère d une société mieux équilibrée et plus solidement assise que la nôtre, avec la noblesse harmonieuse de l’art classique Les personnages que met en scène le poète le plus passionné du xviie siècle, Racine, qui en est aussi le plus hardi versificateur, les Phèdre elles-mêmes et les Oreste conservent le sentiment des bienséances morales jusque dans les plus violents troubles du cœur et les plus furieux égarements de la raison. Racine n’est pas plus tenté de briser le rythme de son vers que de forcer ou de charger sa langue. Les perturbations qu’a subies l’alexandrin peuvent s’expliquer à ce point de vue, comme le caractère général de la littérature contemporaine, par l’état de notre société si complexe et si mobile, et par ce qu’il y a de plus excitable, de moins bien règle, dans notre tempérament moral. À la poésie romantique, qui fut d’abord une effusion du cœur, un jaillissement de passion toute chaude encore, ne pouvait convenir le balancement régulier du vers classique. D’elle-même la versification moderne trouve des rythmes plus expressifs qui s’accordent avec une sensibilité plus spontanée et plus vive.

L’évolution de l’alexandrin a pour cause un antagonisme de plus en plus marqué entre deux besoins également inhé-