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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

appelaient cela « la musique des anges ». C’est aux accords de cette harpe que je comparerais volontiers la poésie de Lamartine. Les divers sentiments qui se succèdent dans son âme en tirent d’eux-mêmes de mélodieux accents : il n’y a d’autre musicien que le souffle des passions.

Ce n’est pas seulement la pensée du poète qui manque de profondeur, c’est encore sa sensibilité. Elle vibre, elle frémit au moindre contact ; mais ce n’est qu’une surface sonore. L’émotion s’exhale sans avoir pénétré jusqu’au fond : elle ne fait, pour ainsi dire, que rebondir sur le cœur.

Cette sensibilité si prompte et si vive, quoique si peu profonde, explique bien l’incurable « subjectivisme » de Lamartine. Que de fois il nous dit en parlant de ses pièces : « Ce n’est pas de l’encre, ce sont des pleurs écrits » ; ou bien : « Ces vers sont tombés de ma plume comme une goutte de la rosée du soir » ; ou encore : « Ceci est une méditation sortie avec des larmes du cœur de l’homme ». Sa poésie n’exprime que des sentiments tout individuels. Le plus grand des élégiaques, Lamartine reste confiné dans l’élégie. Il est incapable de sortir de lui-même. Il « ne sait que son âme ». Tout ce qui n’est pas impressions personnelles ne lui apparaît que dans un vague lointain. Il aime la nature ; il excelle à rendre les émotions qu’elle lui fait éprouver ; mais il est impuissant à la peindre. Il ne voit pas. Même quand il retrace les lieux qui lui sont le plus familiers, ses descriptions fourmillent d’inexactitudes. Les figures qu’il esquisse sont idéales et vaporeuses, et le cadre dont il les entoure n’a ni relief ni consistance. Il n’accuse pas les linéaments, il les estompe d’une douce et molle caresse. Il ne se plaît qu’en dehors de toute limite : aussi la rêverie est-elle son état de prédilection. Il a pour domaine ce qu’il y a de plus vague, ce qu’il y a de général et d’immense dans l’âme, la nature, l’humanité. Sa religion elle-même, aucun dogme ne la précise ; ce n’est qu’une sorte d’harmonie entre son cœur et la création.

Des expansions soudaines et presque involontaires, voilà la poésie de Lamartine. « Ce qui est cherché, a-t-il dit, n’est