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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

sons ou comme des parfums, nul n’en fit jamais de plus beaux que l’auteur des Méditations, des Harmonies et de Jocelyn.

Autant l’originalité de Lamartine est ingénue, autant celle d’Alfred de Vigny est d’une espèce compliquée et subtile. Dès 1815 il compose la Dryade et Symétha, dont le sentiment, comme la forme, rappelle André Chénier. C’est le même art délicat et rare, un ingénieux mélange de naïveté homérique et de joaillerie alexandrine, les épithètes de nature, les archaïsmes, les élégantes périphrases, les enjambements, toutes les curiosités de la langue et de la versification. Ensuite viennent des études, motifs inachevés, comme André en a laissé beaucoup, et qui se distinguent surtout par l’habileté de la facture ; puis, des scènes bibliques, dont il faut sans doute chercher la première idée dans l’auteur de Suzanne. Mais, déjà, l’inspiration n’est plus la même. Tandis que Chénier a l’âme toute païenne, celle de Vigny se tourne au mysticisme ; il appartient à une génération qui a vu bien des choses formidables et troublantes, et que la crise morale a profondément ébranlée. S’il doit d’abord quelque chose à André Chénier, Vigny dégage presque aussitôt sa personnalité propre. Sauf ses premiers essais, il ne ressemble à personne et ne procède que de lui-même. Rien dans notre poésie n’annonçait des poèmes comme Moïse, le Cor, Eloa, bien d’autres encore. « Le seul mérite, a-t-il dit, qu’on n’ait jamais disputé à ces compositions, c’est d’avoir devancé en France toutes celles de ce genre, dans lesquelles une pensée philosophique est mise en scène sous une forme épique ou dramatique… Sur cette route d’innovation, l’auteur se mit en marche bien jeune, mais le premier. »

Lui-même est en effet un initiateur, et les plus illustres contemporains ont suivi parfois sa trace. Sans parler ici d’Othello et de Cinq-Mars, qui inaugurent, l’un la révolution du théâtre, l’autre le roman historique. Vigny, comme poète lyrique, ouvrit autour de lui maintes voies. Une