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LE LYRISME ROMANTIQUE.

de l’école pseudo-classique. Victor Hugo est de tous nos poètes le premier qui ait la faculté de voir les choses en plein soleil et de les rendre dans la vivacité lumineuse de leur coloris. La plupart de ces pièces n’étaient guère pour lui qu’un exercice de style et un thème de versification ; elles n’en ouvrirent pas moins un nouveau domaine à la poésie, et furent une véritable révélation de moyens plastiques que nul n’avait encore soupçonnés dans notre langue.

Trois ans à peine séparent les Feuilles d’automne des Orientales, et l’inspiration semble en être celle d’un autre poète. Victor Hugo a maintenant terminé son apprentissage, il s’est rendu maître de l’instrument poétique ; il manie à son gré les rythmes et les images ; son art n’a plus de secrets pour lui. Cette langue qu’il a assouplie et colorée en l’appliquant à la peinture des choses concrètes, il peut maintenant lui confier sans crainte l’expression de ses sentiments et de ses pensées ; elle a pris assez d’éclat et de relief pour rendre le monde moral avec autant de vivacité, avec autant de puissance que le monde physique. Après s’être répandu autour de lui, il se replie en lui-même ; il tire de son âme, de sa vie intérieure et domestique, une poésie moins brillante, mais d’un accent plus profond. Après l’éblouissante symphonie des Orientales, ce sont des mélodies à la fois douces et sévères, dont l’écho se prolonge dans le cœur ; aux sonores vocalises succède la note des intimités réfléchies. Le poète avait déjà préludé à ce lyrisme nouveau dans les dernières odes ; mais il y manquait, sinon la sincérité, du moins la profondeur du sentiment en même temps que la plénitude de l’expression. Ici, sa lyre a des accords plus riches, et la maturité de l’âge a donné plus de force à sa pensée comme plus de trempe à son émotion.

Les trois recueils suivants continuent sous divers titres l’inspiration grave et méditée de celui qui précède ; seulement l’auteur y mêle des poésies politiques dont la dernière pièce des Feuilles d’automne annonçait déjà le ton : il ajoute à sa lyre ce qu’il appelle la corde d’airain. Beaucoup