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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

une belle rhétorique, mais raide et contrainte. Si le style n’en échappe pas aux défauts du pseudo-classicisme, il a d’ailleurs ces qualités vraiment classiques, la précision du dessin, la sûreté et la vigueur du trait. Ajoutons que bien des pièces, celles de la fin, annoncent déjà chez Victor Hugo une nouvelle manière, non seulement par le choix des sujets, mais encore par un art plus aisé et plus libre.

Les Ballades sont « des esquisses d’un genre capricieux », dans lesquelles il met « plus de son imagination », comme il avait mis dans les Odes « plus de son âme ». L’imagination du poète hante alors un moyen âge de fantaisie où fleurissent les grâces d’une mythologie un peu fade ; elle voltige d’arceaux en arceaux, elle se balance avec les sylphes dans le calice des pervenches, elle se laisse naïvement effrayer par les hiboux des manoirs. Le futur auteur de Notre-Dame se joue autour de ce moyen âge superficiel et mièvre ; il le romance, il s’en fait le troubadour. Mais les ballades trahissent déjà un goût de la couleur, de la mise en scène, de l’effet pittoresque, que ne gâteront plus dans un nouveau recueil les langueurs sentimentales auxquelles sa nature saine et forte s’était un moment prêtée. La quinzième oppose à la fée gothique une péri : c’est cette péri qui ouvre maintenant au poète les horizons plus riches de l’Orient.

L’Orient que Victor Hugo nous peint n’est peut-être pas beaucoup plus vrai que son moyen âge occidental. Les figures dont il le peuple sont devenues bientôt banales et n’ont jamais été que des motifs de décoration. À ceux qui lui demandaient quelle était l’opportunité de ces « Orientales », il répondait que l’idée lui en était venue en allant voir le coucher du soleil. Il faut les prendre pour ce qu’elles sont, y admirer la magnificence de la forme sans accuser le poète d’y donner peu d’aliment à notre pensée et de ne rien dire à notre cœur. C’est à nos sens qu’il s’adresse. Les Orientales ressemblent à ces couchers de soleil qui lui en donnèrent l’idée : elles sont un perpétuel éblouissement, une fête splendide donnée à notre imagination. Elles marquent une rupture éclatante avec le style vague et abstrait