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LE LYRISME ROMANTIQUE.

confusément éparse ; au delà des formes extérieures, il nous fait voir dans les choses ce qu’elles renferment d’invisible, et, si ses sentiments se traduisent en sensations, l’on peut dire que ses sensations à leur tour éveillent tout un monde de sentiments.

Au contraire de Lamartine, qui chante « comme l’homme respire », Victor Hugo est le plus réfléchi de nos poètes, celui dans le talent duquel il entre le plus de labeur et de volonté ; au contraire de Vigny, le premier « névropathe » du siècle, nature délicate et féminine chez laquelle l’impressionnabilité touche à la maladie, il y a en lui un équilibre de santé physique et morale, une vigueur de tempérament, une possession de soi-même, qui sont, avec sa puissance de travail, les traits caractéristiques de son génie.

La poésie n’est pas pour Victor Hugo une effusion soudaine et inconsciente, mais un exercice d’application soutenue. Ce que d’autres considèrent comme un jeu, il en a fait sa profession. Certains sont poètes en attendant mieux, par caprice, à leurs moments perdus ; quant à lui, il a dévoué sa vie entière à l’art. Il parle dès le début de ses « doctrines », de ses « principes littéraires ». Il aime à discuter les questions de métier, il demande pour l’artiste « le droit d’expliquer ce qu’il fait ». Il est chef d’école, il réunit autour de lui un cénacle de disciples. « J’aurais été soldat, a-t-il dit, si je n’étais poète. » En même temps qu’un poète, il y a en lui un soldat. Il mène contre la tradition classique une campagne décisive, et le drapeau qu’il arbore devient celui du romantisme tout entier. Ce ne sont pas seulement les grands problèmes de philosophie littéraire qui le préoccupent ; il descend aux plus minutieux détails, il veut connaître tous les procédés, s’initier à tous les secrets de la main-d’œuvre. Écrivain, il renouvelle la langue : versificateur, il restaure la rime, il multiplie les moyens d’expression rythmique. Le grand poète est un ouvrier de métrique et de style ; il a forgé de ses propres mains l’instrument de notre poésie moderne. Son audace révolutionnaire l’exposa dès le début aux plus violentes