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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

attaques. Esprit entier et inflexible, il ne se laissa jamais émouvoir. Il poursuivit sa carrière, telle qu’il se l’était tracée d’avance, ignorant ses ennemis et ne voulant pas les connaître, plein de mépris pour les incultes et d’indifférence pour les critiques. Confiant dans sa force, il se fit dès la jeunesse un vaste programme de gloire. À quinze ans, il écrivait sur un cahier de classe : « Je veux être Chateaubriand ou rien », et, s’il eut la puissance de réaliser son rêve, c’est parce qu’il en eut le vouloir. Parmi les poètes de la génération romantique, il est le moins passif et le plus obstinément appliqué. Ses défauts mêmes sont systématiques. D’autres s’abandonnent aux caprices de la verve ; lui, il règle toujours la sienne et la dirige en maître. « Il ne laisse pas aller au hasard, dit-il lui-même, ce qu’on veut bien appeler son inspiration. » Il ne cède jamais à l’émotion du moment, et, même dans les pièces où il a mis le plus de son cœur, on sent qu’entre l’impression et l’expression la volonté du poète est intervenue. Il fait tout ce qu’il veut, c’est parce qu’il veut tout ce qu’il fait.

Il se détache aisément de lui-même. Le monde intérieur qu’il porte en lui, ce monde d’idées et de sentiments, il le féconde en l’échangeant avec le monde visible. Il fait entrer, dans la poésie, et son âme, et, avec elle, l’univers tout entier au centre duquel cette âme a été mise comme un écho sonore. Pour lui, tout a droit de cité dans l’art ; il n’y a ni bons ni mauvais sujets, il n’y a que de bons et de mauvais poètes. L’homme, la nature, l’histoire, appartiennent à l’artiste, et non pas seulement dans leur vague généralité, mais dans leurs détails expressifs, dans leur physionomie vivante. La puissance objective de Victor Hugo est assez grande pour lui permettre d’embrasser ce domaine sans limite. En même temps, et par la même raison, il s’approprie tous les tons et tous les genres. Il a par instinct « la forme méridionale et précise », mais il sait aussi rendre le vague et le demi-jour de la pensée ; il sonne la fanfare des métaphores et des antithèses, mais il module aussi des murmures d’une suave douceur. On trouve dans