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LE LYRISME ROMANTIQUE.

« Quoi, fait-il dire à un de ses héros, tu n’as pas d’amour, et tu parles de vivre ! » Rien n’est bon que d’aimer, rien n’est vrai que de souffrir par l’amour, et c’est en souffrant qu’on devine le secret des heureux. Qu’est-ce que le génie ? le besoin d’aimer. L’amour est la seule religion de Musset : doutez de tout au monde, excepté de l’amour. Le Tableau d’église nous montre Jésus-Christ, dans la terrible nuit des Oliviers, s’agenouillant aux pieds de Marie-Magdeleine.

Certes, Alfred de Musset a senti profondément la passion vraie, celle où il entre une sorte d’exaltation supérieure aux sens et comme une ferveur sacrée. Mais, de bonne heure, la débauche avait planté le premier clou dans son sein. Si l’amour est vraiment le seul bien au monde, le poète en puisera l’ivresse à n’importe quel flacon, et l’habitude du libertinage finira par le rendre incapable d’aimer. La lutte entre l’amour et la débauche, c’est là toute l’œuvre d’Alfred de Musset et le drame même de sa vie. Il ne peut se passer de jouir, et il ne peut trouver le bonheur dans la jouissance. Il retombe sans cesse, et chaque fois plus bas. Il finit par noyer dans la fange cette vision qui le poursuit et qu’il se sent incapable de saisir. Et, quand elle ne reparaît plus à ses yeux, c’est que la débauche a achevé d’étouffer en lui le véritable amour. Il est Frank : Belcolor, la Sirène des sens, lui tue sa Déidamia, l’ange des chastes et pures affections. Il est Lorenzaccio : le vice, qui n’avait d’abord été pour lui qu’un vêtement, a fini par se coller à sa peau. Il est Octave : quand son bonheur lui sourit dans les yeux d’une femme aimée, la souillure ineffaçable s’infiltre au sein de ce bonheur et le corrompt. « Un débauché qui se repent trop tard, dit l’Enfant du siècle, est comme un vaisseau qui prend l’eau : il ne peut ni revenir à terre ni continuer sa route. Les vents ont beau le pousser : l’Océan l’attire, il tourne sur lui-même et disparaît. »

Né quelques années trop tard pour être emporté comme ses aînés par le mouvement de renaissance morale qui vivifia et féconda leur inspiration, il assistait, dès ses