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LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

dès qu’il sentira le fer, il avancera toujours en insensé, et se poussera la pointe dans le sein jusqu’à mourir.

Le voici maintenant atteint de cette flamme qu’il cherchait pour s’y brûler. Revenu d’Italie, il passe quatre mois entiers à pleurer dans sa chambre. Ce sont ces larmes qui épurent, qui consacrent son génie. Qu’importe si la Nuit de décembre ne chante pas les mômes amours que la Nuit de mai ? Chez Alfred de Musset comme chez la plupart des poètes, la faculté de sentiment tendait à se renouveler d’elle-même. Dès que la passion l’eut touché, il était condamné à aimer sans cesse, et, tant qu’un rayon d’idéal éclaira son amour, il en tira des chants immortels. Au fond, dans toutes les Nuits, dans tout ce que le poète a écrit de plus passionné, l’inspiration jaillit toujours de la même plaie, avivée par chaque passion nouvelle, de cette plaie sainte que les noirs séraphins lui ont faite au fond du cœur. Les cinq années qui suivent son retour d’Italie sont les plus fécondes de sa carrière ; ses compositions de cette période le mettent désormais au rang des plus grands. Il porte dans l’élégie une intensité de sentiment, une profondeur d’émotion, à laquelle s’allient la grâce et la fraîcheur d’une jeunesse déjà blessée, mais qui veut se rattacher encore à la vie. Les Nuits, l’Ode à la Malibran, la Lettre à Lamartine, sont la plus haute expression de son génie lyrique. Il a quitté l’ironie et le sarcasme ; loin de se révolter contre la souffrance, il l’accepte, il la bénit, il en chante la mission sacrée ; il n’a d’autre Muse que l’ange de la douleur, qui l’élève dans ses bras jusqu’aux espoirs immortels.

L’amour a été pour Alfred de Musset « le seul bien d’ici-bas ». « Appeler aimer un passe-temps, écrivait-il encore au collège, et faire son droit une chose importante ! » Et dans sa Confession : « Je ne concevais pas qu’on fit autre chose que d’aimer. » Son œuvre tout entière découle de cette unique idée que la passion est chose sainte et que ceux qui l’éprouvent en doivent bénir jusqu’aux plus cruels tourments. C’est pour elle seule qu’il vaut la peine d’exister.