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LE CLASSICISME.

Andromaque parce qu’Hector n’est plus ; et si Astyanax vit encore, loin de nous le montrer, ainsi qu’Euripide, dans les bras de sa mère, Racine n’a même pas osé le faire paraître sur la scène : l’amour maternel n’est ans passion noble que si les enfants restent derrière la coulisse.

Confinée dans l’atmosphère factice des salons, la littérature du xviie siècle ne sent pas plus d’attrait pour la nature que pour la vie domestique et intime. Mme de Sévigné aime les ombrages de Livry ; mais ce qui lui plaît dans son parc, ce sont ces avenues symétriques où elle s’entretient avec quelques amis des nouvelles de la ville et de la cour. La marquise de Rambouillet assure que « les esprits doux et amateurs des belles-lettres ne trouvent jamais leur compte à la campagne ». Si Boileau connaît le chèvrefeuille, c’est celui que « dirigeait » Antoine. Bossuet n’a pas un regard pour les fleurs de son parterre, et son jardinier se désole de ne pouvoir y planter des saint-Jean-Chrysostome. Le théâtre nous présente ses personnages dans un cadre tout idéal, en dehors de la création vivante, sans autre décor que quelques colonnes, le péristyle d’un temple ou le portique d’un palais. Quand Molière fait jouer une pastorale, la scène figure « un lieu champêtre, mais agréable ». Seul La Fontaine aime les champs. Mais c’est comme un épicurien. Il ne leur demande qu’un doux repos, le sommeil au pied d’un arbre. Encore ses contemporains le tiennent-ils pour une manière d’innocent, pour « un idiot » qui fait tout naturellement société avec les bêtes, et la fable n’a pas de place dans le catalogue officiel des genres littéraires. L’idylle, du moins, sera-t-elle fidèle à son origine champêtre ? Ses personnages s’appellent Lycidas et Philis ; son décor, ce sont des bois sans doute, mais des bois dignes d’un consul ; on lui impose les bienséances les plus étrangères à la vie pastorale, et, si elle est admise dans la hiérarchie des formes poétiques, c’est comme une grande dame qu’un caprice de bal travesti déguise en bergère pour donner plus de piquant, sous ce costume rustique, à la distinction de ses manières et à l’élégance de son langage.