Page:Pellissier - Le Mouvement littéraire au XIXe siècle, 1900.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
184
LE MOUVEMENT LITTÉRAIRE AU XIXe SIÈCLE.

pièces ne se trouvent pas toutes faites ; le propre de l’art consiste justement à les faire. Toute œuvre d’art doit avoir une unité sous peine de n’avoir plus de signification ; elle doit commencer et elle doit finir. Or les scènes de la vie réelle englobent tant de circonstances et mêlent tant de personnages, qu’elles n’ont ni commencement ni fin. La nature ne fait pas de sauts ; c’est-à-dire que, si nous la représentons telle quelle, nous passerons insensiblement d’un personnage à l’autre, d’une circonstance à la suivante, sans trouver jamais un point d’arrêt. On n’a point composé un drame en reproduisant ce décousu des choses humaines, ces incartades de la vie, qui démentent toutes nos prévisions et déconcertent tous nos plans. Au-dessus de la vérité matérielle, il y a la vérité morale. Ce qui est vrai sur la scène, c’est ce qui est logique. À côté de la nature, il y a l’art, et l’art vit d’ellipses et de synthèses.

L’abstraction et l’idéalisation demeurent après tout les procédés fondamentaux de l’art théâtral aussi bien pour les romantiques que pour les classiques. Le romantisme se sépare des réalistes en maintenant contre eux ces grandes lois de la scène. Victor Hugo proclame que toute figure doit, suivant l’optique du théâtre, être ramenée à son trait le plus saillant et le plus précis ; il oppose à la nature l’art, et à la réalité banale, plate, sans prestige, cette « vie de vérité et de saillie » qui est l’élément propre de tout drame.

Même quand il s’agit, non plus de principes, mais de conventions, le romantisme n’use qu’avec une réserve bien significative des libertés qu’il s’est conquises.

S’il abolit l’unité du temps, ce n’est pas pour mettre toute une vie d’homme sur la scène, pour faire tenir dans le même cadre des événements qui se suivent sans autrelien qu’une succession fortuite ; s’il abolit l’unité du lieu, ce n’est pas pour déplacer le spectateur à chaque scène et pour déguiser ainsi l’incapacité du poète à composer une action dont toutes les parties adhèrent entre elles. Il sait que présenter les personnages à de trop longs intervalles dans la