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LE DRAME ROMANTIQUE.

durée de leur existence, c’est rompre le fil de leur identité, et, d’autre part, qu’il y a dans les changements trop fréquents de décoration quelque chose qui embrouille et fatigue le spectateur, « qui produit sur son attention l’effet de l’éblouissement ». Le premier drame de Victor Hugo, et il ne le destinait même pas à la scène, son drame sans contredit le plus « shakespearien », observe rigoureusement l’unité de temps et transgresse à peine l’unité de lieu. Au reste, le poète ne craint pas de déclarer hautement que mieux vaut, à intérêt égal, un sujet concentré qu’un sujet éparpillé.

C’est au nom de l’harmonie, à laquelle ils sacrifiaient la réalité, que les classiques maintenaient strictement la division des genres. Si les romantiques mêlèrent la comédie et la tragédie, ce ne fut pas plus dans l’intérêt de la réalité qu’en vue d’une harmonie plus complexe. Parmi les raisons que fait valoir Victor Hugo en faveur de ce qu’il appelle le grotesque, une des plus importantes, c’est qu’« on a besoin de se reposer de tout, même du sublime, et que le sublime sur le sublime produit malaisément un contraste ». Or, d’après lui, « la poésie vraie est dans l’harmonie des contraires ».

Aussi bien, le poète, en dépit de ses déclarations, traite le comique et le tragique comme deux éléments qui ne doivent point se confondre. Entre ces deux éléments, il y a, dans ses drames, non pas combinaison, mais juxtaposition. Chaque acte d’Hernani, par exemple (et il en est de même pour la Maréchale d’Ancre d’Alfred de Vigny, pour la Tour de Nesle d’Alexandre Dumas), débute comme une comédie et se termine comme une tragédie. Il semble que le « grotesque » ne tienne pas au fond même de la pièce. D’ailleurs, l’élément tragique n’a qu’à paraître pour faire aussitôt disparaître l’élément comique. C’est que tout n’est pas conventionnel dans la distinction des deux genres. Sans doute, le comique et le tragique se mêlent constamment sous nos yeux ; mais remarquons-nous seulement, lorsqu’un malheur nous frappe, les incidents plaisants qui peuvent traverser notre deuil ? Et, quand nous avons quelque sujet de joie,